Operationnaliser et Materialiser l’Engagement Communautaire : Entretien avec Moustapha Amdi Gueye sur I-Radio

Dans l’émission Pencum Ndaw yi (le grand place des jeunes) sur I-Radio, Moustapha Amdi Gueye, co-fondateur, coordinateur de la Team Niintche et membre du Collectif des Volontaires du Sénégal (CODEVS), a été interviewé par Cheikh Hassana Fall. Il a partagé sa vision sur l’engagement communautaire, en l’illustrant par des exemples concrets et pratiques. Voici les points clés de son intervention.

Jeunesse et citoyenneté

La citoyenneté est le pilier de notre engagement. Posséder une carte d’identité ne fait pas de vous un citoyen, mais un habitant du Sénégal. Pour être un citoyen, il faut contribuer activement à sa communauté et à son pays par des actions associatives. La citoyenneté transcende le simple respect des lois et des règles fiscales.

Utilité de la citoyenneté pour les jeunes

Notre seule ressource intarissable et renouvelable est la citoyenneté. En observant le développement des pays occidentaux, on constate qu’ils ont exploité des ressources gratuites (bénévoles forcées) grâce à l’esclavage et la colonisation. De même, la Chine a eu une période de communisme intense, et le Japon, une éducation de masse. Il est crucial pour le développement de nos pays d’encourager des générations engagées dans le bénévolat et le don de soi.

L’engagement communautaire n’est ni une importation ni un emprunt. Nous avons toujours été des engagés par nature. Par exemple, chaque année en Casamance, les populations nettoient les routes pour faciliter la circulation. De même, ma mère balaie bénévolement la rue autour de notre maison et de quatre autres voisines chaque matin. Des groupes tels que les dahiras, les Baye Fall et les coskas illustrent cette tradition d’engagement communautaire. Les jeunes sont la force vive de cet engagement, même si les plus âgés, avec leur expérience, ont un rôle important à jouer. La citoyenneté est notre véritable richesse, plus précieuse que le gaz et le pétrole.

Pourquoi ton engagement ?

J’ai grandi dans une maison d’engagés, depuis mon grand-père qui accueillait les ressortissants de Diourbel. Notre maison est le siège de l’ASC Doumbelane, de Dissoo de Grand Dakar, de l’association Wa Ñak Jariñoo et de nombreux autres mouvements. Nous n’avons rien inventé ; nous suivons les traces de nos aînés tout en apportant notre contribution. Très jeunes, nous avons créé Wa Ñak Jariñoo, qui a permis à plusieurs générations de devenir des non-fumeurs et des citoyens engagés. À l’opposé de l’image perçue, nous avons ensuite lancé JOTNA (Jeunesse Ouverte à Toute Nouvelle Alternative), qui a participé aux élections locales avec quatre conseillers élus.

Avec l’arrivée du COVID, nous avons initié Faxass Corona, un mouvement regroupant les forces vives de Grand Dakar pour un confinement consensuel, la distribution de masques et d’autres actions. Lors de la réouverture des écoles, nous avons participé à leur nettoyage. Suite à la vétusté constatée des écoles, Pape Samba, Junior et moi avons fondé la Team Niintche, qui rassemble près de 300 jeunes pour rénover les écoles, construire des toilettes et réfectionner des tables-bancs. Nous avons déjà œuvré dans plus de 30 établissements scolaires. Notre prochaine étape est l’entrepreneuriat social solidaire, essentiel pour multiplier les engagements.

L’engagement communautaire, une œuvre collective

L’engagement communautaire n’est pas l’affaire d’un individu ou une aventure solitaire. Il repose sur une réflexion collective et profite à tous. C’est aussi un acte de transmission entre générations, une réflexion continue sur la mise en pratique de l’engagement, clé de notre développement. Le pétrole s’épuise, mais l’engagement perdure.

Par exemple, notre équipe forme des jeunes à divers métiers tels que le carrelage, la peinture et l’électricité. Prenons Kandao, sapeur-pompier et carreleur en chef, ou Aliou, étudiant et chef peintre. Certains jeunes de notre équipe prennent désormais des chantiers privés. Avec l’ONFP, nous pouvons former ces jeunes en pratique.

Les vacances agricoles : un engagement à l’année

Nous saluons la volonté politique qui place l’associatif au cœur des actions publiques. Cependant, l’engagement communautaire ne se limite pas à trois mois de vacances, mais s’étend sur toute l’année. Par exemple, après les vacances, les jeunes volontaires doivent être encadrés pour former des coopératives agricoles. L’État pourrait acheter leurs productions, attirant ainsi d’autres jeunes vers l’agriculture. Les bénéfices financeraient l’économie entourant ces nouveaux agriculteurs.

Il est crucial d’offrir aux jeunes un avenir et des opportunités. Le soutien aux jeunes engagés, notamment par l’octroi de bourses et de financements, est primordial. Par exemple, un jeune entrepreneur de la Team Niintche comme Narou, qui possède une boutique de téléphones portables, devrait bénéficier de facilités pour obtenir un financement. Fort de sa culture citoyenne, il rembourserait ce financement, valorisant ainsi l’engagement communautaire.

Financement des projets : le rôle des RSE

Nous avons commencé par le crowdfunding, qui ne fonctionne plus, puis les RSE. Malheureusement, la plupart des entreprises sénégalaises ne perçoivent pas leur rôle constructif. Dans nos pays, les RSE devraient financer des infrastructures de base (écoles, centres de santé) et non se limiter à des dons symboliques lors des cérémonies religieuses. En rénovant une infrastructure de base, on forme des jeunes et l’État les priorise pour le financement, les bourses et le recrutement de fonctionnaires.

Impact des actions

La valorisation des actions permet d’évaluer leur réel impact. Les effets sur les communautés sont tangibles : réfection d’écoles, reboisement et remise en état des tables-bancs améliorent les conditions d’apprentissage et les résultats scolaires. Le respect des institutions et la culture citoyenne s’en trouvent renforcés.

Prenons l’exemple des tables-bancs : alors que les élèves sont souvent trois par table, nous découvrons des carcasses inutilisées derrière les écoles de Grand Dakar. L’État ne fournit que 50 tables neuves par an, mais notre équipe peut réfectionner ces tables à moindre coût et les réintégrer dans les classes. L’État pourrait attribuer un pourcentage du marché des tables-bancs à notre équipe, qui réfectionnerait ainsi 50 000 tables au Sénégal, tout en formant des jeunes menuisiers.

L’engagement : un facteur de développement personnel

L’engagement communautaire forge des individus sociables, des leaders et des entrepreneurs. Il développe l’humain de manière globale.

Secteurs clés et plaidoyer pour un cadre légal

Les secteurs prioritaires incluent l’éducation, la santé publique, la démocratie, la paix, l’environnement, le sport, la culture, le développement communautaire durable et le plaidoyer. Le CODEVS regroupe des associations œuvrant dans des secteurs stratégiques pour le Sénégal.

Bien que la loi sur le volontariat ait été votée par l’Assemblée nationale, elle n’est pas encore promulguée. Nous exhortons l’État à apporter les ajustements nécessaires et à promulguer cette loi pour garantir un cadre juridique aux engagés et aux ESS. Nous sommes à l’étape de la consolidation de la vie associative. L’engagement saisonnier doit céder la place à un engagement structuré, levier de développement.

Enfin, nous plaidons pour être entendus par l’État à travers nos réseaux. L’État a peut-être une vision théorique, mais ce sont les engagés, acteurs de terrain, qui peuvent indiquer ce qui est faisable et ce qui doit être fait.

L’engagement communautaire est présenté par Moustapha Amdi Gueye comme une clé du développement durable du Sénégal. Il appelle à une action collective, soutenue par un cadre juridique renforcé, pour transformer les aspirations en réalités tangibles. La promulgation de la loi sur le volontariat est essentielle pour structurer et sécuriser cet engagement, faisant de l’effort collectif un véritable levier de développement national.

L’exemple du Sénégal, à travers les initiatives de la Team Niintche et du CODEVS, montre que l’engagement communautaire est non seulement une responsabilité citoyenne mais aussi une opportunité de transformation sociale et économique. Ces modèles inspirants peuvent servir de référence pour d’autres communautés cherchant à réaliser un développement intégré et durable.